5 questions à se poser pour élaborer des stratégies à impact positif
Par Anne-Sophie Royer & Maya Laborde
Covid-19 : une prise de conscience sans précédent
Le développement durable et la pression que subissent les marques pour s’attaquer à cette question brûlante sont loin d’être nouveaux. Mais le Covid-19 a accéléré la nécessité pour les marques d’intégrer la responsabilité dans leur modèle économique. La pandémie a, comme jamais auparavant, tiré la sonnette d’alarme dans la plupart des secteurs d’activité, qui ont pris conscience de la nécessité de modifier radicalement leurs impacts environnementaux. Alors que le monde entier est encore aux prises avec la pandémie, il est devenu évident que la seule façon d’aller de l’avant est de passer d’une situation habituelle à une « nouvelle normalité ».
Il est intéressant de noter que le rôle des entreprises se rapproche de plus en plus de celui des États. En effet, 58 % des personnes estiment que la crise ne pourra être résolue que si les marques jouent un rôle dans la résolution des problèmes actuels.
Donner un élan supplémentaire à l’envie de changement
En cette période d’immenses bouleversements, les marques sont certainement confrontées à un certain nombre de défis qui agissent sur toutes leurs dimensions : au niveau de l’entreprise, du commerce et de la marque employeur.
L’enjeu est de gagner et, plus probablement, de conserver la confiance des consommateurs. Les marques sont définitivement entrées dans une nouvelle ère, dans laquelle la confiance est reine. On attend de plus en plus d’elles qu’elles résolvent des problèmes tant personnels que sociétaux, et la confiance, dans ce contexte, est devenue un élément clé. La confiance dans une marque est le deuxième facteur pris en compte, après le prix, lorsque les consommateurs décident d’acheter ou de laisser tomber une nouvelle marque. Et les données montrent que les consommateurs sont plus susceptibles de faire confiance à une marque qui intègre la durabilité.
En outre, la durabilité est un facteur d’achat essentiel pour les consommateurs de tous les groupes d’âge, et en particulier pour les jeunes de la génération Z. 61 % des personnes interrogées déclarent qu’elles seraient moins susceptibles d’acheter un produit si l’entreprise a de mauvais résultats en matière de pratiques environnementales.
Et enfin, mais non des moindres. L’adoption d’approches durables améliore l’image de marque de l’employeur et a un impact positif sur le recrutement, la rétention et la défense des talents.
Les marques en forte croissance intègrent davantage que les autres les actions de RSE dans leurs plans de relance
Compte tenu de ces enjeux, il n’est pas surprenant que les marques en forte croissance intègrent davantage les actions de RSE et d’aide aux communautés locales dans leurs plans de relance (51 % contre 34 % pour l’ensemble des marques). Cela révèle qu’elles avaient déjà compris les nouvelles exigences des consommateurs avant la crise (d’où leur croissance) et sont donc davantage prêtes à accélérer sur cette voie.
La neutralité des marques n’est plus une option
La neutralité n’est donc plus une option. Quelle que soit la marque, elle doit prendre le pas et le faire d’une manière qui soit à la fois fidèle à son ADN et pertinente pour son public intransigeant.
Un changement à opérer
Nous sommes entrés dans le deuxième âge de la responsabilité, où l’on attend des marques non seulement qu’elles compensent leur impact négatif (la dette), mais surtout qu’elles contribuent à un avenir meilleur, au bien commun (en créant une valeur positive). Il y a ce changement à opérer, qui consiste à passer d’une attitude réactive à une attitude proactive.
Cela peut sembler insurmontable.
Nous allons donc nous pencher ensemble sur les 5 questions d’or auxquelles les experts en marques pourraient vouloir réfléchir lorsqu’ils soutiennent la démarche de durabilité d’une marque.
1_Est-ce que cela guide votre stratégie de marque globale ?
Les marques doivent opérer un changement fondamental : elles ne doivent plus traiter la durabilité comme une entité verticale distincte (le fameux département RSE), mais en faire un impératif supérieur qui transcende les divisions - entre l’entreprise et le commercial, le marketing et l’activité, l’interne et l’externe. La stratégie doit être la colonne vertébrale, infusée partout. Elle doit se retrouver dans toutes les initiatives de l’entreprise : elle est un levier pour la R&D, un critère lors de la construction d’un portefeuille de marques/produits, et a un impact sur la marque employeur : elle définit des valeurs à appliquer en interne dans une logique de symétrie des attentions, qui peuvent ensuite inspirer les talents.
L’un des meilleurs exemples en est le travail accompli par Danone au fil des ans, qui a élevé l’engagement de l’entreprise en faveur d’un avenir plus durable au niveau de la marque.
Danone a défini une stratégie globale avec une vision claire : la santé humaine est liée à la santé de la planète et en est interdépendante. Cette vision se traduit par leur devise : « Une planète. Une santé ». Elle est en outre déployée à plusieurs niveaux de décisions de la marque. Pour n’en citer que quelques-uns :
- Stratégie d’acquisition : acquisition récente de Follow your Heart (alternatives végétales au fromage et à la mayonnaise)
- Développement de produits : la nouvelle recette de pâte à tartiner de Michel & Augustin (bio, sans huile de palme, sans additifs, sans conservateurs, et 2 fois moins de sucre)
- Innovation : emballages réutilisables, nouvelles formulations
- Engagement interne : leur nouveau site à Rueil Malmaison, intégré à son écosystème et adapté au contexte de la santé, co-conçu avec les équipes et avec l’ambition d’être un incubateur d’idées au service de leurs marques, des patients et des consommateurs.
- Organisation : méthode plus locale pour redonner des décisions aux pays et agir de manière plus agile et pertinente
- Portefeuille de marques : Danone a fait part de son objectif de devenir une marque du label B-Corp, elle a donc retiré le logo de ses sous-marque et de l’emballage de ses produits. Les marques qui ne parviendront pas à obtenir le label B-Corp d’ici 2030 seront très probablement cédées.
Et tout cela nous invite à recadrer et probablement à élargir notre compréhension de ce que signifie la durabilité, et de ce que recouvre l’engagement de la marque, car ce dernier doit être aligné sur l’entreprise, l’activité, la catégorie. Il ne peut s’agir uniquement de protection de l’environnement. Pour certaines marques, il peut être plus pertinent d’aborder les aspects « sociaux » ou « économiques » de la durabilité.
2_ Transmet-il une émotion ?
Une autre règle essentielle à retenir est que le fait de s’engager en faveur de la durabilité ne signifie pas que vous ne pouvez pas le faire d’une manière qui soit passionnée, attrayante pour les consommateurs. C’est même tout le contraire.
Une étude menée en France lors du premier confinement l’an dernier, classant les marques en fonction de leur utilité, a démontré l’importance confirmée de l’émotion créée. Alors que les incontournables, comme les fournisseurs d’énergie, les télécoms et autres marques automobiles étaient largement absents du classement, l’attachement créé par Air France a permis de la placer parmi les marques qui avaient le plus manqué aux Français. Cela prouve qu’une approche purement fonctionnelle de l’utilité et de la finalité sociétale ne suffit pas. L’émotion nous permet de donner de la substance, un impact aux marques sans commune mesure avec le langage purement rationnel.
Alors oui, les marques qui ont le plus de succès et qui ont un impact positif aujourd’hui sont celles qui combinent leur engagement à contribuer à un avenir meilleur, avec un design très attractif, présentant leur offre sans compromis sur le style.
Nous avons quelques bons exemples inspirants ici :
- Backmarket ou Depop (plus de 13 millions d’utilisateurs), qui ont brillamment exploité le pouvoir de l’émotion en rendant l’achat de seconde main (ou « pre-loved ») ultra-moderne grâce à l’éditorialisation des produits
- ou encore Refashion, la nouvelle marque de l’éco-organisme français de l’industrie textile - anciennement appelée ECO TLC. Le nouveau nom, la nouvelle identité de marque et le nouveau territoire s’éloignent clairement de l’aspect traditionnel auquel on pourrait s’attendre pour ce type d’organisation et parle désormais le même langage que les marques de mode - celui de la désirabilité - pour amplifier son impact.
Adopter cette approche est aussi un moyen de réduire l’écart entre les convictions environnementales des consommateurs et leurs comportements réels (c’est-à-dire le décalage entre leurs croyances et leurs actions) en supprimant tout sentiment de compromis ou de sacrifice.
Les chiffres sont assez frappants :
92 % des consommateurs souhaitent adopter un mode de vie durable.
Seulement 16 % modifient activement leurs comportements.
Et ceci nous amène à notre 3ème question.
3_ Est-ce que cela donne du pouvoir à votre consommateur ?
De la même manière que notre perception de nous-mêmes est de plus en plus définie par nos engagements, les consommateurs attendent des marques qu’elles les soutiennent activement dans l’adoption de nouveaux comportements. Ils attendent des marques qu’elles leur donnent les moyens d’atteindre leurs objectifs ou, plus concrètement, qu’elles les aident à rendre leur quotidien non seulement plus facile mais aussi meilleur.
C’est pourquoi, lorsque vous définissez votre objectif sociétal, il est essentiel de bien comprendre les besoins et les difficultés de vos consommateurs, afin de définir comment votre marque peut légitimement et, encore une fois, activement les aider.
Avec cet objectif en tête, l’engagement de la marque ne doit plus se réduire à une simple déclaration de principes mais doit apporter des solutions tangibles à la vie de vos consommateurs.
Nous pouvons constater que l’industrie de la mode a évolué dans cette direction ces derniers temps, avec de nombreuses marques promouvant la circularité et mettant en avant de nouvelles initiatives pour faciliter l’accès aux produits de seconde main. Par exemple, le détaillant français La Redoute a créé un site web dédié permettant aux particuliers de revendre leurs produits La Redoute.
Nous constatons également que des marques utilisent le Nudge marketing (processus de communication de messages qui encourage le comportement souhaité en faisant appel à la psychologie de l’individu), comme l’initiative de Nestlé pour contribuer à la prévention de l’obésité infantile en Espagne. Nutriplato est une méthode éducative qui utilise le diagramme d’une assiette pour démontrer les portions appropriées des groupes d’aliments que devraient comporter le déjeuner et le dîner.
Ces exemples illustrent l’opportunité qu’ont les marques d’aider les consommateurs à prendre des décisions plus durables dans leur vie quotidienne en leur donnant les bons outils, services, innovations de produits... En faisant de la marque un partenaire, celle-ci a plus de chances d’être appréciée et préférée par les consommateurs qui y verront des avantages tangibles.
4_Est-ce fondé sur des preuves et mesuré ?
La quatrième conviction que nous aimerions partager est que, pour être digne de confiance, votre impact positif doit être fondé sur des preuves. Des études montrent que seuls 20 % des consommateurs font confiance aux allégations de durabilité des marques, mais 83 % seraient plus enclins à faire confiance aux allégations de durabilité d’un produit si cela était vérifié par une tierce partie.
Cette communication fondée sur des preuves implique, bien évidemment, de mesurer l’impact des actions d’une marque. Et il faut être transparent à ce sujet. Et il n’y a pas de mal à être en chemin, à afficher des progrès plutôt qu’une sorte de perfection, à adopter une posture empreinte de sincérité et d’humilité. Les consommateurs apprécieront vos efforts et seront certainement disposés à vous soutenir dans votre démarche. Cela vous permettra également de renforcer la crédibilité des engagements de la marque sur le long terme.
VEJA, une marque française de baskets, agit en ce sens en gardant un œil sur son empreinte carbone et en la rendant publique. Ils calculent et publient toutes ces données, dans une volonté de transparence totale et de pédagogie. Cela participe également à la mise en lumière des conséquences méconnues de la production de baskets.
Dans un autre registre, Coop, un supermarché, utilise la blockchain pour suivre ses produits et mettre les informations à la disposition des consommateurs. Un code QR sur l’étiquette des aliments permet aux consommateurs de retracer l’origine d’un produit avec leur smartphone pour connaître le parcours du produit « du champ à l’assiette ».
5_ Est-ce que cela engage votre écosystème ?
Les marques doivent également penser de manière collective, en tant que partie d’un écosystème. Les stratégies d’engagement ne peuvent plus être fondées uniquement sur la simple interaction entre la marque et le client. Le développement durable est un défi mondial et agir et planifier en tant que secteur est plus fort qu’une action isolée. En outre, la crise a mis en évidence la nécessité d’une action interconnectée ayant pour objectif la solidarité.
Ils doivent donc mettre de côté les postures et les gestes héroïques afin d’adopter des visions qui rassemblent les gens, en devenant une partie du collectif grâce à la mise en œuvre de solutions ouvertes, en établissant des partenariats, en donnant accès aux données, etc.
Par exemple, Danone a ouvert l’accès à sa base de données sur la recherche sur les cellules souches aux chercheurs, tandis que
Sanofi remplira et emballera des millions de doses du vaccin Pfizer contre le COVID-19 à partir de juillet afin de répondre à l’énorme demande pour les vaccins du fabricant américain et de soutenir l’approvisionnement de plus de 100 millions de doses du vaccin cette année.
Nous pouvons également citer le Pacte de la mode, la coalition mondiale des entreprises du secteur de la mode et du textile (prêt-à-porter, sport, lifestyle et luxe), qui comprend également des fournisseurs et des distributeurs, tous engagés dans des objectifs communs dans trois domaines : l’arrêt du réchauffement climatique, la restauration de la biodiversité et enfin la protection des océans.
Tous sont des exemples inspirants de marques initiant des visions collectives.
Alors, et si les marques de demain étaient des « marques ouvertes » ? C’est une question que toute marque devrait explorer dans la nouvelle normalité.
Conclusion
Pour résumer, les cinq sujets que nous avons abordés aujourd’hui et vos principales conclusions pour guider votre marque vers une véritable durabilité.
Faites-en votre principe directeur
Adoptez une stratégie de marque émotionnelle
Donnez du pouvoir à votre public
Prouvez, plutôt que d’affirmer
Pensez collectif
À propos d'Anne-Sophie Royer
Forte de 10 années passées au sein du planning stratégique de grandes agences intégrées, Anne-Sophie a une expérience confirmée en matière de stratégies de marque et de communication et a intégré SGK Brandimage en 2019. Diplômée de Sciences-po Paris, elle intègre Ogilvy en 2009 et accompagne des marques internationales dans les univers de la grande consommation (Nestlé), de la banque (Barclays) et du retail. Elle prend en 2016 la direction de la stratégie de Geometry Global où elle déploie une offre de consulting locale sur l’analyse et l’influence des parcours d’achat, en parallèle des stratégies de marque et d’activation qu’elle construit pour ses clients (Bacardi, Danone, Emirates, Piaget). En 2018, elle intègre Herezie Group comme Directrice Générale en charge des stratégies d'expérience client. Experte des méthodologies de Design Thinking, elle accompagne le client sur les processus d'innovation et de marketing de précision.
À propos de Maya Laborde
Maya a six ans d'expérience dans le domaine de la stratégie de marque et de communication. Diplômée du CELSA-Sorbonne Paris en stratégie de marque, branding et innovation, elle a rejoint les équipes de communication corporate, de stratégie de marque et de branding de grandes agences créatives parisiennes (Extreme, Ogilvy, CBA).Elle y a accompagné des marques patrimoniales (L’Oréal, Chanel, Bouygues Construction, Air Liquide…) comme des jeunes marques ou institutions sur des problématiques de brand management (accompagnement stratégique, positionnement et identité, édition, digital…) de la stratégie à la production. Au sein de SGK Paris, elle est en charge de la stratégie et du business development.